Cette pièce de poterie d’étain, datée de 1700, a été acquise par le musée en octobre 2006. Il s’agit d’une donation des Amis du Musée. Le pichet, acheté chez un antiquaire, appartenait à une vieille famille lyonnaise.
Il s’agit d’une pièce intéressante pour le musée, qui au-delà du textile et des beaux-arts, mène également une mission de conservation et de valorisation du patrimoine local.
La poterie d’étain : quelques repères
L’étain est le premier métal exploité par l’Homme, dès la Préhistoire. Dans les premiers temps, son utilisation est limitée à quelques objets domestiques, des écuelles ou des bijoux, car l’étain est trop mou pour servir à la fabrication des armes. Cependant, après la découverte du cuivre il y a 6000 ans, son alliage avec l’étain donne naissance au bronze, permettant la fabrication de pièces très dures, comme des pointes de flèches ou des couteaux.
Durant toute l’Antiquité, l’étain pur reste cependant utilisé pour fabriquer des objets en métal tendre, d’usage courant. L’utilisation de l’étain à table et dans les cuisines est courante chez certains peuples, comme les Celtes ou les Romains. Son artisanat est ensuite pratiqué au Moyen-Âge, essentiellement dans les communautés religieuses, les monastères et les couvents qui ont conservé l’art de le travailler. On le retrouve ainsi dans les objets de culte, mais aussi dans les ustensiles courants de la vie domestique.
Le XVIe s. marque ensuite le développement du métier de potier d’étain, et le début d’un nouvel essor pour cet artisanat. La production concerne alors la vaisselle, les instruments de soin médicaux, les boutons et boucles destinés à l’habillement ou encore les jouets d’enfants. Cet âge d’or se poursuit ensuite sous Louis XIV, après les édits de 1689 et de 1708 qui imposent à tous les sujets de remettre au roi leur vaisselle d’or et d’argent afin qu’elle soit fondue pour renflouer les caisses du royaume, vidées par les guerres successives. C’est ainsi que la poterie d’étain acquiert ses lettres de noblesses et vient orner les tables de l’aristocratie et la grande bourgeoisie française.
L’étain sera ensuite délaissé au XIXe s. en faveur de la faïence et de la porcelaine, moins chères et plus faciles à produire.
Les pichets à vin
Sous l’Ancien Régime, l’étain est notamment utilisé pour réaliser des pichets, qui servent à l’époque de mesures à vin.
En effet, si le système de mesure est relativement homogène en France jusqu’au règne de Charlemagne, à partir du IXe s., une multitude de nouvelles mesures apparaissent, créées par des seigneurs féodaux, laïcs ou religieux. Celles-ci sont extrêmement variables d’une région à l’autre, d’une ville à l’autre, d’une seigneurie à l’autre ou d’un produit à l’autre. Certaines sont liées à la morphologie du corps (pouce, doigt, poignée, brassée, pied, pas…), d’autres au travail (fauchée, journal), d’autres encore au transport (ânée, charge, sac, tonneau)… La complexité vient aussi de ce qu’une même dénomination, le pied, par exemple, correspond à une vingtaine de longueurs différentes selon les lieux et les corps de métier. Ainsi, à Paris, les merciers, les drapiers et les marchands de toile ont chacun leur aune. De nombreux rois de France, conscients du problème, tentent à plusieurs reprises de les uniformiser. Mais le plus souvent, le gouvernement central cherche tout simplement à imposer les valeurs des mesures de Paris, sans que cela soit justifié, et c’est à chaque fois un échec.
Concernant la mesure du vin, la plus utilisée par le commerçant au détail est à l’époque la pinte. Celle-ci vaut 0,9305 l à Paris. Mais chaque région, voire chaque ville, a son propre pichet-mesure. Celui-ci est défini d’après un modèle précis, un étalon généralement conservé sous la surveillance de magistrats. Tous les pichets-mesures mis en vente et utilisés se réfèrent à cet étalon et sont poinçonnés. Il existe plusieurs types de poinçons :
– Les poinçons de maîtres, obligation faite aux maitres-potiers depuis 1382, qui permet d’identifier leur production.
– Les poinçons de contrôle de la qualité de l’étain. Leur uniformisation ne se fait qu’au XVIIe s avec les édits royaux de 1643 et 1691. Le poinçon, circulaire, doit comprendre la date, le nom de la ville et une lettre indiquant la qualité de l’alliage : un C couronné pour l’étain commun, garantissant une proportion de 80 à 90 % d’étain ; et un F couronné pour l’étain fin, qui indique une proportion de 90 % d’étain. Cette marque est apposée par des offices « d’essayeurs-contrôleurs-marqueurs des ouvrages d’étains ».
– Les poinçons de jaugeage, attribués par l’autorité royale ou seigneuriale, qui autorisent l’utilisation et la mise en vente des pichets-mesure. Ce poinçon est apposé sous la surveillance d’un magistrat qui en contrôle l’exactitude grâce à l’étalon, conservé en lieu sûr.
Ainsi, la capacité des pichets-mesure est précise mais varie en fonction des régions et de la forme de l’objet. Il en existe quelques grands types.
Le pichet de Bourgoin-Jallieu
Notre pichet est de forme tronconique, de type lyonnais. Lyon fut l’un des premiers centres de production d’étain dès la Renaissance, produisant un modèle de mesure qui sera repris par plusieurs régions voisines. Ainsi, des pichets mesures de ce type sont déjà connus dans les villes de Crémieu, Montluel ou Vienne. Il s’agit du premier exemple connu à Bourgoin.
La base du pichet est cylindrique et légèrement concave. Sa capacité est de 112,50 cl. Il est doté d’un couvercle plat en forme de figue et d’une anse plate en forme de S. Il est décoré de deux bourgeons sur la languette et est gravé de filets sur le gobelet et la panse. Le métal à belle platine claire porte par endroit des traces du passage au tour. Grâce au poinçon de la ville de Bourgoin sur le couvercle, on peut le dater de l’année 1700.
L’uniformisation des mesures
En 1789, « un poids et une mesure » est bien l’une des doléances inscrites à l’ordre des États généraux. Le calcul d’une mesure universelle et invariable, reproductible et vérifiable est confié en 1790 à une commission de l’Académie des sciences.
En 1793, le choix se porte sur « la dix millionième partie du quart du méridien terrestre » (c’est-à-dire la distance séparant le pôle Nord de l’équateur) : c’est la naissance du mètre. À l’inverse, le méridien mesure donc 40 millions de mètres, soit 40 000 km. L’unité de mesure de base étant déterminée, il suffit désormais d’établir toutes les unités de mesure qui en découlent : le mètre carré, le mètre cube, le litre, le gramme… C’est l’adoption du système métrique décimal. Toutes les autres unités et mesures sont supprimées.
La mise en place des mesures décimales met donc progressivement fin à la grande variété des types régionaux de pichets à vin. L’uniformité cylindrique remplacera ainsi les multiples combinaisons de types (tronconiques, balustres ou épaulement), des pouciers (à glands de chêne, à bourgeons, à palmette…) et des différentes formes de pied et de gobelet.