Cette sculpture, datée du XVIIIe s., se trouvait à l’origine dans la chapelle du musée. Elle fut l’un des tous premiers objets inscrits à l’inventaire du musée, puisqu’elle porte le numéro 11. Elle fut à l’époque inventoriée sous le nom de Saint Étienne.
Un mystérieux personnage
Le personnage couronné représenté par la statue a posé de nombreuses questions à l’équipe du musée, qui s’est lancée dans une véritable enquête pour l’identifier. Dès le début, certains indices ont cependant été relevés :
– Les vêtements : la robe et le manteau sont ornés de fleur de lys, et ce dernier est surmonté de fourrure d’hermine. Ces signes, ainsi que la couronne, suggèrent donc l’appartenance du personnage à une maison royale française.
– Le nœud : la robe est cintrée d’une corde nouée par un nœud dit franciscain. Ce nœud à trois boucles faisait référence aux trois vœux prononcés à leur entrée en religion et ornait les robes de bure des frères franciscains. Si le personnage n’est évidemment pas un religieux, il appartenait sans aucun doute au Tiers-Ordre des franciscains, fondé en 1222, et destiné aux laïcs qui, obligés de rester dans le monde, aspiraient à vivre selon leurs principes.
– Le dessin des chausses représente des cottes de maille. Ce personnage a donc également eu une action guerrière.
1ère hypothèse : la piste hongroise
Une tradition orale dont on ignore l’origine exacte (un curé lyonnais, d’origine hongroise, est évoqué) a toujours fait de ce personnage un roi hongrois. Peut-être est-ce en référence à cette tradition que la statue a été inventoriée sous le nom de Saint Étienne, qui est le Saint patron de la Hongrie. L’équipe du musée se devait donc d’explorer cette piste, d’autant qu’en 2011, des représentants de l’Association pour le patrimoine hongrois dans le monde ont demandé à voir la statue.
Plusieurs hypothèses ont alors été évoquées, parmi lesquelles les rois de Hongrie Charles Robert Ier (1308-1342) et son fils Louis Ier le Grand (1342-1382). Tous deux sont issus de la Maison d’Anjou-Sicile, une branche cadette de la famille royale de France descendant de Charles d’Anjou (1227-1285), roi de Naples et de Sicile, dernier fils du roi de France Louis VIII (1187-1226) et de Blanche de Castille (1188-1252). Cette hypothèse justifierait le décor de fleurs de lys, qui apparaît également sur les armoiries de cette famille. Un autre nom a également été cité : Louis d’Anjou (1274-1297), connu également sous le nom de Saint Louis d’Anjou, un petit-fils de Charles d’Anjou, et également petit-neveu de Louis IX (1214-1270), roi de France. En effet, Louis d’Anjou, mort prématurément à 23 ans, était un évêque franciscain, canonisé en 1317.
Mais aucune de ses hypothèses n’est pleinement satisfaisante : Charles Robert Ier et Louis Ier le Grand n’étaient pas franciscains, quant à Saint Louis d’Anjou, il était évêque de Toulouse, membre de l’ordre des frères mineurs et n’a jamais régné. Comment expliquer alors la couronne ?
2e hypothèse : la piste portugaise
Tandis que les recherches se poursuivaient du côté hongrois, la technique utilisée pour réaliser le décor de la statue a mis l’équipe du musée sur une 2e piste : celle du Portugal.
En effet, le décor des vêtements (robe, manteau et chausses) est réalisé par sgraffito, une technique consistant à réaliser deux enduits successifs, ici un enduit doré et un enduit gris/brun sombre, et à griffer le deuxième (l’enduit gris/brun) de sorte que le premier (l’enduit doré) réapparaisse. Or cette technique est introduite en Europe par les Portugais, qui commercent avec le Japon dès le XVIe s. et qui découvrent là-bas une technique de décor similaire. Dès la fin du XVIe s., on trouve donc des sculptures à décor sgraffito au Portugal. Le musée Sao Roque, à Lisbonne, en conserve deux, représentant Saint François Xavier et Saint Ignace de Loloya, datées du XVIIe s., et très similaires à celle que nous possédons.
De plus, la famille royale portugaise qui règne sur le pays de 1093 à 1383 descend d’une branche cadette de la Maison de Bourgogne, elle-même branche cadette des rois de France capétiens. Le 1er roi est Alphonse Ier (1109-1185), fils d’Henri de Bourgogne (1066-1112), comte du Portugal et fils cadet d’Henri de Bourgogne (1035-1074), duc de Bourgogne et lui-même petit-fils du roi de France Robert II le pieux (972-1031). Cette famille n’a cependant jamais utilisé la fleur de lys comme symbole, et aucun de ses rois n’a été franciscain.
Sculpture de Saint François Xavier avec décor en sgraffito, XVIIe s., Musée Sao Roque, Lisbonne, Portugal
3e hypothèse : un artiste portugais, un roi français
Contacté, le conservateur du Musée Sao Roque, João Miguel Ferreira Antunes Simões, a quant à lui émis une 3e hypothèse : il s’agirait bien d’une statue portugaise, mais le roi représenté serait Louis IX (1214-1270), roi de France, canonisé par l’Église catholique en 1297.
Cette hypothèse aurait le mérite d’expliquer :
– la couronne et les habits fleurdelisés, Louis IX ayant été roi de France ;
– la nœud franciscain, Louis IX ayant bien appartenu au Tiers Ordre franciscain ;
– les chausses en cotte de maille, Louis IX ayant mené la septième (1248-1254) et la huitième (1270) croisade, au cours de laquelle il trouve d’ailleurs la mort.
Toujours selon le conservateur, les statues de Saint Louis sont très communes dans les chapelles du Tiers Ordre franciscain, comme celles d’autres saints membres également de ce Tiers Ordre, à l’image de Sainte Élisabeth de Hongrie (1207-1231). Il se pourrait donc que cette statue soit originaire d’une chapelle du nord du Portugal, et qu’elle ait été emmenée lors des invasions françaises de 1807. Il existe en effet de nombreux cas d’art ancien portugais emportés par des soldats et des petits officiers et offerts aux églises paroissiales de leurs terres d’origine. La statue représentant Saint-Louis, roi de France, elle pourrait avoir plus particulièrement suscité l’intérêt des militaires français.
Cette hypothèse semble aujourd’hui répondre le mieux aux différents indices présents sur la statue et à la spécificité de la technique utilisée. Un seul détail pose cependant encore question, le fait que Saint Louis soit représenté barbu… ce qui est rare, mais pas impossible. Quoi qu’il en soit, l’enquête se poursuit !